As Is de Michel Moers (TELEX)

As Is de Michel Moers (TELEX)

Il faut croire que le télex était cassé. Presque 20 ans depuis le dernier message (How do you dance, 2006) envoyé par la machine éponyme créée par Marc Moulin, Dan Lacksman et Michel Moers. Quant au premier album solo de Moers, c’est encore pire : il faut changer de siècle. C’était en 1991 avec Fishing Le Kiss, Trente-trois ans de silence, une éternité christique.

Sans comparer Moers à Jésus, le musicien belge rechausse donc les crampons en 2024, et son retour sur terre s’avère nettement plus dansant que celui du mauvais bricoleur cloué sur la croix. Avec As Is, il livre non seulement un deuxième album littéralement inattendu, mais également fruit de 33 longues années de réflexion qui lui permettent aujourd’hui d’accoucher de dix titres intelligemment électroniques intemporels principalement écrites en déplacement, sur Logic. On pense au glacial et silencieusement bouillonnant Microwaves, avec la chanteuse de Propaganda Claudia Brücken, qui rappelle les plus belles heures de l’électropop des 2000’s, ou encore la Bryanferryesque New Friend écrite avec Sean Christian Woods, sans oublier le fantastique titre d’ouverture au nom prémonitoire, Les gens sont affligeants, qui prend toute sa mesure avec la technologie actuelle, par opposition à ce qui était disponible en 1990 lors de son enregistrement. « Tout le monde connait quelqu’un de décevant dans son entourage, note Michel, et même si la chanson a été écrite il y a 30 ans, elle est peut-être encore plus pertinente aujourd’hui ». Mais pas de quoi gâcher le retour de Moers dans le monde d’après. A l’image du très vaporeux Beau-Triste, qui ne sera sans rappeler les meilleures productions de William Orbit.

Et alors, pour en revenir à nos histoires, où était Michel Moers ces 33 dernières années ? Contrairement aux apparences, il n’a pas chômé : « En fait, je travaillais sur la photographie et l’architecture, et je faisais de la musique comme les peintres le font le dimanche explique-t-il, dans la plupart des cas, j’avais jusqu’à dix versions de chaque chanson, alors il m’a fallu du temps pour comprendre lesquelles j’aimais ». Et peut-être aussi, comprend-on entre les lignes, que le peintre du dimanche devait accepter l’arrivée du lundi, et le fait de lâcher ces compositions dans la nature.

Parallèlement, le discret chanteur de Telex, loin de vivre en ermite, a dépoussiéré les bandes du trio historique avec son comparse Dan Lacksman, en bons gardiens du temple, pour la réédition d’un coffret des six albums via le label emblématique Mute Records. Ce projet a-t-il réveillé la créativité de Michel ? « Non, il a réveillé mes oreilles », dit-il, faisant référence au mélange et à l’équilibrage des sons nécessaires pour remasteriser l’ensemble de ce catalogue (ainsi que pour dénicher quelques pépites des archives) qui fit de la Belgique, un temps, le centre du monde. C’était à la fin des années septante avec Moskow Discow, quand Telex représentait le pays à l’Eurovision et que Moers, ce grand silencieux, interprétait le Rock around the clock de Bill Haley dans l’émission Top of The Pops. « J’étais assis à côté de Gary Numan à la cantine pendant près d’une heure, se souvient-il, on ne s’est rien dit pendant tout le repas. Ce qui est franchement idiot, parce que je suis fan ».

 

Depuis, le fondateur de Telex, Marc Moulin, s’en est tristement allé, laissant Moers dans une solitude durable. « Le problème pour moi, c’est que travailler avec lui était génial. C’était comme un jeu de ping-pong. Je proposais une démo et il travaillait dessus, ou vice versa. Depuis sa mort, il a été impossible de retrouver ce type de relation. Peut-être que je n’ai pas assez cherché ». Peut-être, à l’inverse, qu’il lui aura fallu 33 ans pour accepter une nouvelle traversée en solitaire. C’est comme ça. As is, en anglais.

Mais presque un siècle après l’invention du télex, Michel Moers a visiblement encore quelques messages à transmettre.